samedi 12 décembre 2015

Emma et les esprits de Noel


Emma et les esprits de Noël



La vieille Emma venait d’avoir ses soixante seize ans .Depuis vingt ans qu’elle habitait son 2 pièces au troisième étage elle en avait vu défiler des locataires dans les deux autres logements de son escalier .A vrai dire elle avait toujours vécu là ; simplement du temps de ses parents puis après ,avec son mari et son fils , la famille occupait le rez de chaussée et le premier : sa mère tenait une boutique et elle avait pris la suite ….. pour remailler les bas , faire du repassage , reprendre des vêtements . Pour le repassage et la couture la clientèle venait surtout de la rue de Boigne , de la place Saint –Léger , de la rue Saint –Antoine….des « dames » qui ne risquaient pas de s’abîmer les mains en allant prendre du thé et des gâteaux au « pâtissier galant » sous les arcades mais qui venaient pour faire élargir leurs robes et leurs jupons .
Le rez de chaussée était toujours humide et sombre ,pour y accéder il fallait descendre trois marches . Elles travaillaient sous la lampe car elle ne pouvaient pas se permettre de ne pas faire de la belle ouvrage : petits points serrés , reprises des dentelles qui étaient en elles même des dentelles , repassage des plis –sans faux plis-…..L’hiver malgré le poêle elles avaient toujours l’impression d’avoir froid .
De l’autre côté du passage voûté qui menait à la cours un autre escalier desservait la maison voisine ; les appartements étaient occupés maintenant par des noirs et des chinois qui faisaient une drôle de cuisine . Les odeurs n’étaient pas tous les jours ragoûtantes mais elles avaient au moins l’avantage de masquer les effluves de pipi de chats ….Pour ça il y en avait des chats dans le quartier mais il n’empêche que la nuit elle ne serait pas allée dans la cours parce que les bruits de courses furtives et les piaillements elle ne savait pas trop si c’était les chats ou des rats

Samedi matin avant 9 heures

Emma fermait la porte de son logement en écoutant ce qui se passait chez ses voisins du dessous.
L’immeuble était étroit et aux deux étages inférieurs il n’y avait qu’un appartement dont la porte donnait sur la coursive extérieure desservie par un escalier de bois dont les marches usées glissaient dès qu’il faisait humide. La balustrade rouillée branlait quand elle s’y accrochait mais c’était mieux que rien … elle n’avait plus le pied aussi sûr qu’avant et craignait de tomber
« si je m’étiaffe comme la mémé d’en face et que j’y laisse mon col du fémur je finirais à l’hospice . »
Elle était allée voir la mémé au pavillon Sainte –Hélène et le spectacle l’avait déprimée pour au moins une semaine.
« rien que des vieilles , certaines le cul à l’air sur des chaises percées…. posées devant une télévision qui braille . « Les feux de l’amour » , tu parles comme ça devait l’intéresser la mémé ce truc à l’eau de rose ; heureusement que j’avais des choses à lui raconter :la fatima d’en face qui s’est mis en ménage avec un roumain qui lui fait faire la manche devant le Prisunic , le gros du restaurant qui a dû fermer un mois après le passage de l’inspecteur …y a longtemps que tout le monde sait qu’il y a des blattes dans sa cuisine , le grand noir qui habite au fond de la cours dans l’ancienne remise et qui raconte qu’il est voyant …. ce qu’il voit j’en sait rien mais il a des visites , des pas tristes des fois !
Madame Gozzi ,du second, elle dit que depuis qu’il est là il fait venir des zombis et que c’est eux et pas les rats qu’on entend dans la cour . Elle a beau dire je l’ai vue moi aller au fond de la cour …. elle voulait sûrement un sortilège pour faire revenir le petit blond qui passait la voir pendant que son aînée était à l’école et la petite à la sieste ; elle peut faire sa sainte nitouche celle là tient …et même pas aimable avec ça . Toujours à râler et à médire ! »

Emma s’arrêta sur la coursive du deuxième étage , pris le temps de refixer les peignes en corne qui retenaient ses cheveux sur les côtés ….elle se donnait du temps pour écouter .
La dernière née des Gozzi pleurait tandis que sa mère criait à sa sœur de s’arrêter immédiatement….. Agrippée à la rampe métallique Emma commença à descendre lentement , faisant particulièrement attention à rester sur le bord pour pouvoir poser entièrement le pied ; le milieu des marches était creusé par le passage et leur rebord était incurvé.
« Arrête donc de lui faire peur en racontant que tu entends marcher un fantôme la nuit et qu’il viendra prendre son Doudou si elle ne te laisse pas sa trottinette. C’est toi qu’il va venir chercher si tu ne débarrasses pas immédiatement la table du petit déjeuner …
-mais tu viens de me dire d’arrêter parce que les fantômes ça n’existe pas !
- ne répond pas s’il te plait !
mais non poussin , il n’y a pas de fantôme .Habille toi s’il te plait ! »

« c’est tous les jours la même chose » pensa Emma ;  « leur mère ferait mieux de leur mettre une fessée chacune au lieu de crier pour rien . Chez nous il y a belle lurette que la mère aurait décroché le martinet ! »
Encore une marche .. «  Dire que c’est elle qui a raconté l’histoire des zombis chez le primeur ; elle ne manque pas d’air …. »

La vieille dame continua sa descente prudente. Pas de bruit derrière la porte de premier étage : « l’allemande est encore couchée » grommela t’elle en continuant à descendre les marches une à une, avec précaution. Rien à dire sur la «  Gretchen » ; depuis septembre qu’elle était arrivée Emma n’avait encore rien trouver à redire , cela en devenait louche .

Arrivée dans la rue Emma vérifia que son manteau noir était boutonné correctement et resserra les attaches de la capuche de plastique transparent qui lui couvrait la tête car il pleuviotait .
« Par les temps qui courent plus rien n’est comme avant . Pas de neige pour la Noël depuis je ne sais pas combien d’années et puis tout ce que les gens dépensent pour un jour , même que certains mangent des patates tout le mois de janvier ou même pire achètent à crédit c’est pas normal tout ça . »
Avec sa cane dans une main et son filet à provision dans l’autre elle ne pouvait pas prendre de parapluie. De toute façon les parapluies elle les perdait à peine achetés …c’est comme ses lunettes , elle avait dû mettre des cordons parce que sinon elle était tout le temps à les chercher
« Avec une paire de loin et une paire de près c’est pas étonnant ; je suis toujours à en poser une pour mettre l’autre …. » .

Elle ne voulait pas que son fils l’apprenne , ni ça ni le fait que l’autre dimanche elle était sortie en pantoufles. « pas la peine qu’il sache non plus que j’ai oublié le gaz sous la casserole la semaine dernière »
De toute façon il ne venait presque jamais sauf pour « demander des sous » ; il ne risquait pas de la mettre chez les vieux « parce que ça coûte »

Elle craignait plus que les Gozzi signalent des chose à l’assistante sociale ; pour la casserole ils étaient montés parce que cela sentait le brûlé et l’autre jour comme elle descendait en courses elle les avait bien entendus qui parlaient de la possibilité d’acheter son appartement quand elle serait partie. «  Si c’est pour accélérer les choses qu’elle est allée chez le voyant elle va en être pour ses frais . J’ai encore toute ma tête et j’y crains pas moi la sorcellerie d’Afrique ; il peut bien lancer les sorts qu’il veux et faire venir les esprits j’ai toujours ma croix de communiante qui me protège . »
Elle traversa, longea la vitrine du disquaire ….cet individu qui portait une boucle d’oreille que son crâne rasé de près ne cachait pas .Enfin , c’était dimanche et le rideau du magasin était tiré, cachant ces « machins »  malhonnêtes qu’il y exposait :
« des statuettes… qu’il appelle ça ; ben il est culotté d’afficher « statuette indienne ; kama sutra . Les statues , les statuettes pour de vrai c’est au musée qu’on les trouve ou à la Métropole ; à la Métropole il y en a même sur la façade et au moins ce sont de vraies statues même si il y en a de vilaines – des gargouilles dit le guide qui emmène les touristes – mises là pour décorer la cathédrale »
Emma pressa le pas en prenant le passage, elle ne voulait pas être en retard pour la petite messe ; elle ne voulait surtout pas qu’une autre prenne SA place . Du prie –dieu placé à côté du premier pilier , vers la porte de la sacristie elle pouvait voir ceux qui étaient là , ceux qui arrivaient en retard ou ceux qui partaient sitôt l’hostie avalée, avant la quête . Elle voulait surtout bien regarder comment les fleurs étaient arrangées et si les allées avaient été balayées correctement .Ce n’était pas sa semaine pour aider mais ce n’était pas une raison pour laisser faire n’importe quoi ; quand les choses n’étaient pas à sa convenance elle restait le temps que le monde sorte puis elle arrangeait à son goût .

Samedi 11 heures

Bien que chargée de son filet rebondi par les pommes et les poires à rissoles qu’elle venait d’acheter au marché, la viande hachée « hallal » qu’elle y achetait aussi et 1/2 tomme, Emma fit le détour par « les éléphants » au lieu de rentrer directement par la place Saint Léger ; elle voulait passer à l’épicerie de la rue d’Italie pour récupérer le pandoro qu’elle avait fait mettre de côté.
En chemin elle s’arrêta plusieurs fois pour échanger quelques mots avec ses anciens voisins , Angeline qui avait été en classe avec elle , à l’école de la rue de la banque , et qui était restée vieille fille …..Pas étonnant, mauvaise comme elle était ! Elle avait aussi rencontré Madame Ambrosi ; elles étaient restées un bon moment à discuter à la sortie de la cathédrale, évoquant
les vieilles et les vieux qui se retrouvaient comme elles à la Mission Italienne , rue Saint Réal .
Elles avaient un peu critiqué …entre ceux qui ne venaient que pour le café et les biscuits proposés à la fin des réunions et qui ne participaient pas à l’organisation du Loto de Janvier (dont la recette permettait de payer les petits goûters. Ils le savaient assez mais quand il fallait donner la main on les voyait rarement) ; de plus la plus part d’entre eux n’étaient arrivés qu’en 46-47 ….
En passant sous les arcades elle avait bien regardé tous ces gâteaux dans la vitrine de la pâtisserie en pensant avec envie qu’ils étaient sûrement commandés par ces familles qui habitaient les beaux appartements rénovés… Sûr que si elle y pensait davantage elle allait se sentir obligée de retourner à confesse !

Samedi 17 heures

Emma venait de terminer la compote à rissoles ; la pâte feuilletée attendait d’être pliée une septième fois. Elle s’assit cinq minutes pour boire un dernier café …
Les petites du second étage étaient sorties avec leurs parents juste avant, sans doute pour aller voir les vitrines et les rues décorées pour Noël.
La vieille dame repensa aux Noëls de son enfance puis à ceux de femme mariée , maman d’un garçonnet turbulent certes mais si mignon avec ses yeux bleus et ses boucles noires ; mi- souriante elle haussa les épaules pour se débarrasser des souvenirs ….
Il avait bien changé son garçon  !
Maintenant Emma se préparait une fois de plus à passer les fêtes toute seule , à aller à la messe de 9 heures le soir parce qu’elle n’osait plus rentrer de la Métropole passé minuit .
Elle n’installait même plus la crèche .

Elle se resservit un café : « coupé avec de la chicorée ça ne peut pas me faire mal ». Elle ruminait…..  C’était bien fini les veillées de Noël avec les voisins , l’époque des années 50 où en attendant de sortir dans la neige pour aller à la cathédrale les familles se retrouvaient tantôt chez les uns tantôt chez les autres ; les enfants jouaient aux petits chevaux , leurs pères faisaient une belote et les mamans bavardaient … Sa grand-mère assise à côté du poêle disait un chapelet ou continuait son tricot . Vers 11 heures la tisane était servie , un verre de blanc proposé aux hommes puis chacun passait chez lui mettre sa plus belle veste , son beau manteau après avoir emmitouflé ses gamins et les habitants de l’immeuble se retrouvaient dans la rue . Il y avait toujours quelqu’un pour aider la grand-mère et éviter qu’elle ne glisse .

«  Les gens sont plus comme avant » pensa t’elle , « avec la télévision c’est chacun chez soi et chacun pour soi » . Emma se dit qu’elle ne risquait pas de demander de l’aide à ses voisins si elle avait un souci .
Quand elle était remontée tout à l’heure elle avait entendu Sainte Nitouche discuter avec son mari …faut dire qu’elle avait besoin de poser ses courses ; elle n’était pas restée là pour écouter mais elle n’avait pas pu s’empêcher d’entendre «  Tu devrais monter lui dire à la mémé du dessus de ne pas faire de bruit le matin . Elle tourne et vire dès 5 ou 6 heures , son plancher grince et les filles se mettent à imaginer des fantômes »
Emma avait repris son paquet et continué son ascension . « Elle manque pas de culot ! Se plaindre alors que je fais bien attention à ne pas trop brasser …. C’est quand même pas le balai qui fait du bruit … De toute façon ce qui la dérange c’est qu’une fois ses filles réveillées elle ne peut pas traîner au lit ! 
Et puis me traiter de mémé, faut pas exagérer , j’ai pas encore atteint les quatre-vingts … »

Elle avait vu de la lumière chez l’allemande du premier en rentrant des courses et des voix jeunes avaient résonné dans l’escalier une partie de l’après –midi, avec des bruits de bouteilles qui s’entrechoquaient ; depuis un bon moment cependant le calme était revenu.

17h30 ! Elle avait dû s’assoupir quelques minutes. C’est le bruit de la machine à coudre des Silverstein qui avait dû la bercer : une belle Singer qui avait fait des envieux dans le quartier quand elle avait été livrée en mai 38 ….mais qu’est ce qu’elle racontait là ? « tu déhottes complètement ma vieille » se dit elle .
Les Silverstein avaient étés emmenés en 43, même que la vieille toupie du dessous, dont le frère s’était engagé volontaire pour le STO, avait dit aux boches que les deux petites étaient en classe. Les parents d’Emma en étaient encore tous retournés quand elle était rentrée de l’école.
Pourtant la machine à coudre continuait de l’autre côté de la cloison dans l’appartement au dessus de la boutique dont la vitrine s’ouvrait rue Dessaix... 
« t’es fatiguée »  pensa t’elle ; « tu vas finir par croire aux fantômes toi aussi , comme les petites du dessous » .
Emma se mit debout, finit de préparer ses rissoles et enfourna la première plaque … le bruit de la machine à coudre continuait à se faire entendre ; elle crut même un instant entendre pleurer le petit dernier des tailleurs. « Ce n’est pas possible, j’ai dû abuser sur la gnôle dans la compote ; elle m’est montée à la tête pendant que je touillais pour que ça n’accroche pas au fond de la casserole »

Samedi 1 heures

Emma faisait un petit clopet dans son fauteuil recouvert d’une couverture faite avec des carrés de laine récupérée en détricotant des gilets trop usés pour durer encore. Elle s’était déjà préparée pour aller à la messe de minuit : sa robe noire à petites fleurs et le gilet mauve qui allait avec , le chignon bien serré dans la résille retenait les cheveux qu’elle tirait avec des peignes au dessus des oreilles . Pour ne pas risquer de prendre froid elle avait mis par-dessus la robe de chambre en laine des Pyrénées qu’elle avait offerte à son Albert à peine queques mois avant qu’il ne passe …comme elle ne voulait pas la laisser perdre elle l’avait mise de côté avant que l’aide-ménagère vienne l’aider à débarrasser le linge .

Des cris de femmes, les pleurs d’un enfant, des pas précipités dans l’escalier …. La vieille dame se réveilla en sursaut ; la poignée de la porte d’entrée qu’elle avait fermée bougeait ….sans réfléchir elle ouvrit.
Une jeune femme brune se précipita dans la cuisine, un bébé de quelques mois dans les bras, l’allemande à sa suite.
Elles s’appuyèrent contre la porte qu’Emma avait refermé précipitamment derrière elles de façon instinctive .
Des coups sur le bois, au point de faire tomber le plâtre entre chambranle et cloison , des vociférations dans une langue étrangère hurlées par au moins deux hommes, les jeunes femmes pétrifiées , le bébé qui hurlait …. puis plus rien sauf des pas qui redescendaient l’escalier et les voix enragées qui s’éloignaient .

Bercé, le bébé se calmait ; sa mère le mit au sein tandis que Gertrude (désormais ce n’était plus « l’allemande » ) expliquait à Emma que son amie était une jeune fille de famille turque .Elles faisaient ensemble leurs études et avaient quitté Berlin en même temps  : l’une officiellement dans le cadre d’un échange entre universités , l’autre en cachette car ,enceinte de son ami , elle avait été condamnée à être tuée par sa famille qui l’avait promise en mariage à un marchand d’Izmir et voulait « laver son honneur ».
Ils avaient retrouvé la trace de Gertrude et étaient venus chez elle où elles se trouvaient toutes deux pour fêter Noël avec des copains ; elles avaient ouvert sans méfiance pensant que c’était ceux-ci qui arrivaient avec un peu d’ avance.

Dimanche 1 heure

Emma pris congé de Gertrude et ses amis ; elle avait manqué la messe de minuit et se moquait de ce que Monsieur le Curé et ses copines pouvaient penser. Le Noël de cette année valait tous les sermons.
Gertrude l’avait invitée à les rejoindre au premier étage où pour ses copains de la faculté et Gudrun son amie elle avait organisé une fête .
Emma avait apporté rissoles et pandoro qui avaient fait plus d’heureux que quand elle les apportait à la Maison Diocésaine. Ils avaient partagé strudels, chocolats, baklawa , vin blanc , chansons , rires …
L’appartement avait bien changé depuis la jeunesse d’Emma ; il y faisait chaud .
La trappe qui permettait de prendre l’escalier de bois descendant à la boutique avait disparu sous un lino jaune . De toute façon la boutique n’existait plus : le local servait à la chaudière .

En cette nuit de Noël la jeune mère et son bébé, Myriam, allaient coucher chez Emma ; pour être en sécurité avaient elles dit mais surtout parce que cela faisait un grand bonheur à la vieille dame.

Le lendemain elles rejoindraient le logement que Gudrun occupait sous un nom d’emprunt :l’appartement des Silverstein, au dessus du restaurant indien de la rue Dessaix.
Le bruit qu’avait entendu Emma n’était pas celui de la machine à coudre mais le va et vient d’un fauteuil à bascule ou Gudrun se balançait en berçant sa fille .
Dire que Gertrude avait choisi cet appartement parce qu’il était possible , en enjambant la balustrade de l’escalier , de rejoindre la terrasse qui reliait la maison de la rue Croix d’or et celle de la rue Dessaix ; Gudrun avait ainsi un moyen de fuir en cas de danger et de rejoindre Gertrude discrètement .
C’était bien pensé mais ni l’une ni l’autre des jeunes femmes n’avaient envisagé la possibilité que pour atteindre Gudrun son frère aîné et son oncle pourraient vouloir s’en prendre à son amie .





Lundi 12 heures

Dans la boîte au lettres de Gertrude un courrier pour Gudrun attendait : sa demande de statut de réfugiée avait été accepté .
Pour l’heure cette dernière attendait son ami à la gare avec la petite Myriam dans la poussette que madame Gozzi lui avait donnée en disant que ce n’était « pas grand-chose … il faut bien s’aider dans la vie », que sa seconde fille allait sur ses trois ans et que cela lui rendait service en permettant de débarrasser le galetas de la layette et du matériel de puériculture qu’elle avait stocké « au cas où …»
Au troisième étage Gertrude aidait Emma à mettre le couvert pour huit personnes ; tous les habitants de la maison se réunissaient autour de Myriam et ses parents pour fêter Noël après le 25 Décembre.
Emma avait les joues rougies par la chaleur régnant dans sa cuisine ; entre la cocotte de fonte où mijotait du lapin et la polenta qui gratinait au four la gazinière aurait suffit à chauffer la pièce mais elle n’avait pas voulu couper le chauffage de crainte que la « ptiote » ne prenne froid .
L’émotion de recevoir du monde chez elle qui restait d’habitude toute seule jouait sans doute aussi un rôle dans les couleurs du visage d’Emma qui était tourneboulée au point de ne pas prêter attention ni aux mèches s’échappant de son chignon ni au fait que les boutons de sa robe étaient attachés lundi avec mardi .
Gertrude l’aida à se boutonner correctement et lui glissa dans l’oreille de ne pas s’inquiéter, personne d’autre ne le saurait .

Emma se sentait pousser des ailes depuis les évènements de la nuit de la Nativité, des ailes qui ne devaient rien à la religion … elle n’acceptait pas que Gudrun et Gertrude lui disent qu’elle était un ange : un ange ça ne dit pas les choses comme elle les pense et ça Emma ne voulait pas y renoncer .Les après midi à la Mission Italienne perdraient de leur saveur si elle devait tenir sa langue. De toute façon il fallait bien qu’elle aie quelque chose à dire à monsieur le curé quand elle se rendrait à confesse.


Lundi 22 heures

Emma venait de se coucher ; elle était fatiguée par cette journée de fête . Fatiguée mais heureuse . : pour la première fois depuis le départ d’Albert elle n’avait pas été seule pour Noël ;son vaurien de fils l’ignorait depuis que le soir même de la mise en terre elle avait dû lui refuser l’argent du livret d’épargne qu’il réclamait .
Cette petite à côté c’était un petit bonheur pour elle qui n’avait pas eu de petits enfants , une famille de cœur . Ah ça c’est sûr qu’elle avait envie de les gâter un peu
« De toute façon, les sous de la banque je ne partirai pas avec quand ça sera l’heure ! »
Elle aimait bien Gertrude aussi et regrettait qu’à l’été celle-ci doive retourner dans son Allemagne natale .
Elle pensa que si quelque chose n’avait pas changé c’était bien la bêtise humaine et la violence qu’elle engendrait .
Sous son édredon elle écoutait le fauteuil à bascule et s’endormit en faisant revenir l’esprit de la famille Silverstein : le bébé, les fillettes , le père qui bâtissait les costumes et faisait fonctionner la machine à coudre, la mère qui se chargeait des finitions …


dimanche 29 novembre 2015

pellicules en 3D

 Le début de l'automne fut sous le signe du cinéma  et avec la quinzaine du cinéma italien (http://www.123savoie.com/quinzaine-du-cinema-italien-chambery/) la seconde partie du mois de novembre  m'a vu aussi  traîner dans les salles obscures .

Si le Forum et l'Astrée ont toujours ma préference  il m'arrive  aussi d'aller aux Halles en fonction de la programmation ; c'est de toute façon  le seul endroit où visionner des films en 3D et il aurait été dommage de se priver de cette technologie pour seul sur Mars ou Everest .
Aller voir ce dernier était pour moi un évidence , une suite logique aux relectures d'Annapurna premier 8000 , des carnets du vertige
des  conquerants de l'inutile ou  de l'ouvrage de David  Roberts, Annapurna , une affaire de cordée , 
ou encore de celle de Taniguchi  dans K ou le sommet des dieux



J'en ai été enchantée ; les images étaient à la hauteur de mon imagination ...et de la réalité peut être : les difficultés de l'ascension  n'ont pas été oblitérées  allant jusqu'à la mort  d'alpinistes,la volonté du responsable de mener à terme ce pourquoi il avait été payé : mener les clients au sommet ,satisfaire ceux ci même quand continuer a signifié prendre un risque mortel .Il y a dans ce type d'expéditions un aspect financier loin d'être négligeable qui explique , à défaut de justifier, la prise de risques ; emmener le plus grand  nombre possible de personnes au sommet est la performance à réaliser. Le faire sous l'oeil d'un journaliste n'est pas négligeable non plus: sans doute est ce pour cela que  Jon Krakauer a fait partie de ce voyage.
Cet aspect commercial  ne me plait pas et j'ai apprécié que le film n'occulte pas ces problèmes.
Quand on parle de commerce  ...
 j'ai vu que  Beck Weathers  avait surfé  sur la vague du film  pour faire paraître un livre; je me refuse à l'acheter  ou même à le lire.

"Seul sur Mars" est un livre (de Andy Weir) avant d'être un film,  . J'ai été au cinéma alors que  je n'étais pas tout à fait à mi-livre .
J'ai craint de ne plus être autant intéressée par l'ouvrage après avoir vu l'histoire  mais il n'en a rien été.
J'ai au contraire plongé dans le texte avec une envie et un plaisir accru; les explications ajoutent une dimension supplémentaire à l'histoire. J'ai aimé apprendre que l'hydrazine a permis la production de l'eau  nécessaire aux cultures

et , même si je l'ai maintenant oublié, le pourquoi des explosions  qui ont obligé le héros à modifier ses plans.



 Il y a aussi le récit du voyage  pour aller chercher  Pathfinder , les modifications apportées aux machines et le périple entre  le site d'Ares III et celui  d'Ares IV.


Quelques différences  entre le texte et les images  ne s'expliquent pas seulement par la nécessité de limiter la durée de l'histoire au cinéma ; outre le changement de prénom( de Venkat à Vincent ) ou le fait que l'histoire d'amour entre 2 des spationnautes  soit limitée à un  bisou sur le scaphandre alors que le texte suggère davantage le film présente une fin que le livre élude .
Si cela n'enlève rien au film la question de l'indépendance des grandes firmes de cinéma avec le politiquement WASP correct m'est, de ce fait ,venue à l'esprit .
Et cela contribue sans doute au fait que j'ai préféré le livre au film .




http://rue89.nouvelobs.com/2015/10/25/aller-voir-seul-mars-demander-si-les-autistes-vont-lespace-261816
http://www.liberation.fr/sports/2000/05/24/annapurna-a-fait-maurice-herzog-et-oublie-louis-lachenal_325099
 https://fr.wikipedia.org/wiki/Anatoli_Boukreev

dimanche 15 novembre 2015

mi-novembre 2015 Grenoble , Chambery

 Hier  nous sommes allées à Grenoble  pour les rencontres  Montagnes et sciences .
Elles ont été maintenues  malgré les évenements de Paris et cela m'a semblé  une bonne décision ; voilà ce qui a été écrit sur leur page facebook :
 "Nous souhaitons de notre côté maintenir les Rencontres Montagnes et Sciences, dans cette actualité dramatique, persuadés que le partage de la connaissance et la curiosité pour l'inconnu sont au fondement du vivre ensemble."


 Je ne peux qu'être  en accord avec cela  tout comme je l'ai été avec le discours du colonel Lancrenon (13e BCA)  au matin du 11 novembre  place du palais de justice à Chambéry :
 « il nous appartient, plus que jamais aujourd’hui dans un monde de tension, d’assumer le devoir de Mémoire, pas dans un sens morbide, mais bien pour mettre à l’honneur la paix. ....».

Pour vivre ensemble  connaître  l'autre est indispensable  car le connaître permet  de respecter ses différences  et  de se rendre compte de tous nos points communs .
 Marianne Chaud  l'a explicitement dit dans le film qui nous a été présenté samedi au Palais des sports , la nuit nomade .
Celui ci m'a enchantée ,  plus que  Lost worlds qui m'a beaucoup plu aussi  et qui a enthousiasmé mes filles ; aventurier ... de quoi les faires rêver !
L'intervention deEvrard Wendenbaum l'aventurier passionnant et visiblement passionné   a pointé du doigt la nécessité de protéger  et les zones  menacées et les petits territoires encore  non exploités (abusivement) par et pour les  humains.
Je  n'ose pas parler de territoires indemnes sur lesquelles   les activités  humaines  n'auraient pas eu d'impact ; l'interview de Claude Lorius  qui nous a été projetée  est explicite à ce sujet : depuis la révolution industrielle  les activités  humaines modifient  l'atmosphère terrestre  de façon de plus en plus importante .
Les modifications climatiques  engendrent des migrations  humaines  s'expliquant en partie par la pénurie en eau  qui en découle.Les  zones  géographiques les plus touchées sont aussi  celles où des conflits couvent ou sont déclarés  en Afrique , au Moyen Orient..., ceux ci se doublant parfois de famines




 Les conflits au Moyen Orient ... un "chemin" pour  revenir sur les attentats de Paris(et aussi ceux de Beyrouth) ; ce serait  , à mon avis , trop facile d'y trouver une  justification  à ces actes de terrorisme commis par des abrutis  endoctrinés par des mégalomanes  qui  utilisent  une religion pour servir leurs intérêts.
C'est cette fois l'Islam  qui est instrumentalisé  mais  le catholiscisme  a aussi été utilisé  à des fins  ne correspondant pas à l'esprit  des évangiles.
Tous les musulmans  ne cautionnent pas ce qui s'est passé , loin de là, et j'ai trouvé sur le net des écrits  qui le disent explicitement :

[...]Je suis peut-être fou, mais je vais le dire et je m’en fous : si je dois me retrouver avec tous ces imbéciles, tous ces nuls, tous ces assassins qui tuent, de sang froid, des êtres humains comme eux, mais qui ont eu la malchance de ne pas être comme eux, des « musulmans », de « vrais musulmans » comme ils disent, et bien, je ne veux pas de ce paradis ! Que toutes ces canailles et tous leurs fans y aillent, qu’ils remplissent leurs entrailles de toutes ces victuailles qu’on leur promet et qu’ils jouissent, eux et tous leurs semblables, de toutes les vierges et de tous les éphèbes jusqu’à satiété toute l’éternité.
Je suis peut-être fou, mais je vais le dire et je m’en fous : je préfère aimer un peu, beaucoup, à la folie mon prochain et ma prochaine, même s’il est ou si elle est loin de moi, loin de mon pays, loin de ma culture, loin de la religion qu’on a choisie pour moi, et s’il faut pour cela, aller en enfer, j’irai, le cœur gai et l’âme tranquille. Je préfère brûler, griller, embraser et ressusciter un millier, un million, un milliard de fois, pour à nouveau m’enflammer, cramer jusqu’à me carboniser aux côtés de gens étrangers joyeux et intelligents, que de boire le plus petit verre de vin béni de l’éden ou me taper une nana perpétuellement pucelle.
Je suis peut-être fou, mais je vais le dire et je m’en fous : je hais tous ces « musulmans » haineux, ces monstres qui tuent au nom d’Allah, et tous ces « musulmans » qui les soutiennent, qui sympathisent avec eux et qui trouvent des excuses à tous leurs actes barbares  [....]



Il y a  des imams aussi  qui  ont exprimé leur désaveu
http://www.saphirnews.com/Attaques-terroristes-a-Paris-les-reactions-fermes-des-organisations-musulmanes_a21534.html
 et même des institutions  telles el Azhar
"L’Azhar condamne les attaques terroristes qui ont visé Paris
L’Azhar condamne fortement les attaques terroristes et la prise en otage à Paris qui ont tué et blessé plus de cent personnes tout en soulignant que les mains de bassesse et de terrorisme se sont débarrassées du moindre sens d'humanité en versant du sang et en assassinant les innocents.
Ce danger haïssable ne cessera de commettre ses crimes atroces contre les civils tant que la communauté internationale ne conjugue pas ses efforts pour y faire face.
[...] "
Certains  ne s'expriment pas de façon publique , ils n'en pensent pas moins et sont affectés par ce qui s'est passé simplement  par l'horreur des actes  non obstant le fait  d'être possiblement touché par la perte d'un proche  ou par ce qu'ils ont connu l'enfer fabriqué par ces religieux  intégristes et fanatiques  en Algérie ou ailleurs ; simplement par ce que  l'idéologie sous-jacente nie l'humain, le réduit  à un moyen pour satisfaire un ego perturbé.
Mais il y a , j'en suis sûre, un certain nombre d'individus en France qui sont  ne sont pas opposés  ou même qui cautionnent ces actions.
C'est cela qui est effrayant
 et cette peur leur donne un pouvoir .
 Il y a eu hier à Grenoble , à  16h30 , une minute de silence pour les victimes et une minute d'applaudissement pour les forces de l'ordre et les sauveteurs .
 A mon grand regret  je n'y ai pas  vu de femme portant le foulard  )ou davantage voilée)  ni d'homme en  kamis. Puis-je croire que c'est simplement par crainte d'être pris à partie  ou est ce significatif -au mieux- d'une indifférence ?
J'aurai aimé que certains de ces musulmans influencés par les mouvances salafistes  affichent leur solidarité avec les autres habitants de notre pays , leur désaveu des exactions  terroristes.

  A Chambéry le haut ce matin ,sur le marché , une association musulmane portant le nom de dine al haqq distribuait des prospectus  sur ce qu'est l'Islam  pour eux; ils ont refourgué leurs documents à un maximum de personnes , y compris à ceux qui pourtant étaient visiblement  maghrébins  donc officiellement musulmans... pas  assez "musulmans" sans doute à leurs yeux.
 J'espérais autre chose .
 Je crains que demain certains élèves refusent de respecter  une minute de silence à midi  ainsi que d'autres l'ont fait après  l'attentat copntre Charlie Hebdo.
 Le devoir de mémoire pour  ne pas que soit oubliée la nécessité de lutter  contre  les idéologies totalitaristes  et leurs adeptes  est plus que jamais d'actualité.


 http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/hei/fichiers/bulletin48.pdf
 http://www.matthieuthery.com/energy/water-crisis/?lang=fr
 http://www.scienceshumaines.com/geopolitique-de-l-eau_fr_24012.html


mi-novembre 2015 Paris

 Vendredi soir -13 novembre - : Paris a été la cible d'attaques terroristes revendiquées par Daech .
 Je n'ai appris que samedi matin  l'ampleur de la déflagration ; par l' appel téléphonique d'un de mes fils  : "nous  n'avons rien " .
A vrai dire  même si j'avais su  je ne me serais sans doute pas inquietée :
Chilly-Mazarin  n'est pas vraiment Paris  et  les jeunes gens  ne sortent pas le vendredi soir .... J'ai donc pris une claque en entendant "c'est le quartier où on va souvent ... on a hésité et finallement on a regardé le match ".
Les catastrophes ne concernent pas que les autres  et c'est un moment comme celui ci qui me l'a violemment rappelé .
 Chez nous  pas de souci  mais combien de familles, d'amis , de copains dans la peine et/ou l'angoisse  d'avoir un ou plusieurs proches  tués , blessés ou choqués  par ce qui est arrivé à côté d'eux .
Un cousin des enfants a écrit :"j'ai eu peur ; plus de peur que de mal . Je suis rentré en traversant la moitié de Paris à pied " . Il aurait pu  ne pas pouvoir écrire cela .
 J'ai eu peur , retrospectivement ; à l'idée de ce qui aurait pu arriver . Et comme  je ne savais pas le risque potentiel  au moment des faits  j'ai pu prendre  cela avec  la distance de la reflexion .
 Je  n'imagine que trop bien  ce qui a pu se passer dans la tête des parents , du compagnon ou de la compagne , des amis, qui savaient  que celui ou celle qu'ils n'arrivaient pas à joindre devait se rendre  dans ce quartier là .
L'angoisse  du silence , de l'absence d'informations , des appels téléphoniques  à ceux qui -peut être - sauraient que tout allait  bien , que le téléphone n'avait simplement plus de  batterie.
 Cela doit ressembler à l'attente  de l'arrivée de celui ou celle qui a pris la route et devrait être là depuis 14 heure , 2 heures .... 4heures , 4heures 30 .... et qui n'est pas là , n'a pas téléphoné pour dire qu'il dormait en route ou qu'il était resté plus tard que prévu chez un copain.
 De l'attente  d'un appel on passe à la crainte de l'appel  des services de police .
 Hier soir , 24heures après les faits  beaucoup de victimes n'étaient toujours pas identifiées .
 J'aurai pu être  un parent  en face du silence .
 J'aurais peut être aussi être durant une partie de la journée un parent insouciant par ce que ...Chilly Mazarin  n'est pas Paris  et que l'on ne se téléphone pas tous les jours .Le reste de la fratrie m'aurait sans doute vite fait atterrir :
"Pour toute la famille et Les amis a Paris, j Espere que vous etes en securite.
Est ce que quelqu'un sais si la famille est safe?"
Que ce soit de Grenoble ou d'Australie  ils ont réagi; je ne serais pas restée longtemps insouciante .
 J'ai failli  l'être .